4 septembre 2019
Si, au contraire, instaurer et préserver le bien-être des collaborateurs était la voie à privilégier pour garantir la pérennité et le développement de l’entreprise.
Plusieurs études ont montré un lien entre le bien-être et la performance au travail1. L’idée selon laquelle un travailleur « heureux » est plus productif, plus collaborant et plus impliqué semble donc fondée. Mais la notion de bien-être ne se résume pas aux aspects psychosociaux, et n’est synonyme ni de bonheur (notion bien plus large et personnelle) ni de satisfaction (notion plus restreinte se basant uniquement sur une auto-évaluation). Tous les aspects du bien-être (tel que défini dans la législation belge2) n’ont pas pu être abordés dans ces études principalement centrées sur les aspects psychosociaux. Le bien-être au travail comprend également d’autres aspects : la protection de la santé du travailleur, la sécurité, l’ergonomie, l’hygiène et l’embellissement des lieux de travail. Nous pouvons toutefois dégager de ces études certains constats, en commençant par l’impact de son contraire.
Le SPF Emploi, Travail et Concertation sociale a listé une série d’indicateurs de risques psychosociaux3 :
Cela ne signifie pas que tous ces faits sont des causes ou des conséquences de risques psychosociaux. Concrètement, si on prend le cas de l’absentéisme par exemple, toutes les maladies ne sont bien entendu pas provoquées par une souffrance au travail . Mais celle-ci peut augmenter considérablement la durée ou la fréquence de ces absences. Par ailleurs, un taux d’absentéisme important dans un service donné peut, quant à lui, intensifier le mal-être des travailleurs de ce service en augmentant considérablement la charge de travail.
Moins souvent évoqué, le présentéisme a un impact encore bien plus important que l’absentéisme. Il s’agit de la baisse de productivité pour cause de problèmes de santé (psychologique ou physique) de travailleurs présents. Paul Hemp4 évalue à 7.6% cette baisse de productivité, soit une baisse 3 fois plus importante que l’absentéisme.
A ces coûts objectivables se rajoutent des coûts indirects liés aux problèmes avec la clientèle, aux problèmes de désorganisation et de qualité, à la perte du capital intellectuel, ou encore à la détérioration de la réputation de l’entreprise. Plus globalement, on peut parler de désengagement du personnel en situation de mal-être.
« Si vous prenez soin de vos employés, ils prendront soin de votre entreprise » disait Richard Branson (fondateur de Virgin Group). C’est exact : le bénéfice le plus important que l’on retire de la satisfaction des salariés est d’abord … la satisfaction des clients !
La productivité augmente, tout comme l’engagement et la motivation des travailleurs. La créativité et l’innovation s’intensifient, la qualité et l’efficacité du travail fourni progressent. Et enfin, le recrutement de nouveaux talents est largement facilité, ce qui est d’autant plus important pour les entreprises qui recherchent des profils considérés comme étant en pénurie ou qui souhaitent attirer des jeunes de la génération Y5, très attachés à leur épanouissement au travail.
Plusieurs essais d’estimation chiffrée des bienfaits du bien-être ont été réalisés. Un collaborateur « heureux » serait ainsi un collaborateur 6X moins absent, 2X moins malade, 9X plus loyal, 31% plus productif et 55% plus créatif6. Et de manière globale, investir dans le bien-être permettrait d’augmenter la croissance7.
Au vu des coûts engendrés par la souffrance au travail et des bénéfices que l’on peut escompter d’une politique de bien-être, pourquoi dès lors n’est-ce pas devenu une priorité pour toutes les entreprises ?
Mettre en place une politique de bien-être ne peut se faire de manière efficace que si les dirigeants d’entreprise sont convaincus de la plus-value que cela apportera tant pour les salariés eux-mêmes, que pour leur organisation. Engager une démarche de bien-être au travail résulte avant tout d’un état d’esprit, d’une volonté de changement, voire d’une révolution managériale8. Pour le moment, il ne s’agit encore, pour certains d’entre eux, que d’une obligation légale et parler de bien-être leur semble paradoxal quand on traverse une crise financière ou une perte de croissance. De plus, il s’agit d’un investissement généralement à moyen ou long terme, et les bénéfices des politiques de bien-être sont difficilement objectivables et quantifiables. Sans compter qu’il n’existe aucune recette miracle et valable pour tous. Le bien-être, c’est du « sur mesure »…
Considérer le personnel d’une entreprise avant tout comme un « coût », une masse salariale à réduire pour obtenir une meilleure performance financière, se focaliser sur la flexibilité, la polyvalence et l’intensification du travail, tout cela amène à une détérioration du bien-être au travail. D’autres entreprises privilégient davantage les investissements technologiques que les investissements dans l’humain, les 2 pouvant pourtant se faire conjointement. Ce qui est important, c’est de se rendre compte que ne pas prendre le capital humain en considération détériorera à terme la performance économique de l’entreprise. D’où l’importance d’y sensibiliser les managers, et de les former pour qu’ils développent leur leadership, pas seulement leurs aptitudes financières.
Se centrer sur la qualité du travail (qualité des produits et des services fournis) permet de ne pas confondre performance et rentabilité maximale à court terme. Le principal risque psychosocial d’aujourd’hui, selon Yves Clot9, concerne les critères de qualité du travail. La vision des managers diffère de celle des collaborateurs. Il est essentiel d’ouvrir le débat à ce sujet en vue de se rejoindre sur une vision commune : qu’est-ce qu’un travail de qualité dans notre organisation ? C’est une approche plus positive que de parler de risques psychosociaux. Rien n’est plus motivant et porteur que de retrouver ou préserver le plaisir du travail bien fait. Il n’y a pas de ” bien-être ” sans ” bien faire “.
Au niveau économique, face à la concurrence des pays à bas coût de main d’œuvre, la seule issue réside dans la capacité des entreprises à apporter de la valeur ajoutée en termes de produits et services. Or, le moteur de l’innovation, ce sont les hommes et les femmes qui y travaillent. Il s’agit en fait de passer d’une gestion des ressources humaines à une gestion humaine des ressources.
[1] Bien-être au travail et performance de l’organisation, Nathalie Dobbe, Laurent Van Tolhuysen, Pauline Berck et Florence Wattiaux, revue de la littérature et pistes de recherche, université catholique de Louvain (Louvain School of Management), étude réalisée à la demande du SPF Emploi, Travail et Concertation Sociale, 2009
[2] Loi du 4 août 1996
[3] http://www.emploi.belgique.be/WorkArea/DownloadAsset.aspx?id=44166
[4] Paul Hemp, Presenteeism : At Work – But Out of It, Harvard Business Review, October 2004
[5] Génération des individus nés entre 1980 et 1995
[6] Arnaud LACAN, Mieux-être au travail : gadget RH ou vrai levier de performance pour les entreprises ?, article in Management & Sciences Sociales, n°22 janvier-juin 2017
[7] Alexandre Jost et Olivier Pastre, Les Echos.fr , 9 octobre 2013
[8] DIRECCTE Rhône-Alpes ( Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi), « Bien-être au travail & performance économique », juin 2014
[9] Yves Clot, « Le travail à cœur. Pour en finir avec les risques psychosociaux », Livre de poche, 2015