18 décembre 2018
Les déplacements professionnels font partie intégrante de la journée de travail de beaucoup des travailleurs. Ils sont également des facteurs de risques psychosociaux, même s’ils sont rarement pris en compte. Une approche du bien-être se doit d’être globale, et donc ne pas se limiter à ce qui se passe uniquement à l’intérieur de l’entreprise.
Rien que les déplacements domicile-travail peuvent déjà avoir un impact négatif sur le bien-être des travailleurs. Une étude réalisée en 2015 par Annie BARRECK de l’université de Montréal1 démontrait l’impact de ces déplacements sur l’humeur et la motivation des travailleurs. Au-delà d’une heure par jour aller-retour, le risque de burnout des travailleurs augmente. Mais tous les types de déplacements ne génèrent pas le même niveau de stress.
Personne ne sera surpris d’apprendre que ce sont les trajets en voiture vers les grands centres urbains qui sont les plus stressants, principalement à cause des embouteillages. Concrètement la même durée de trajet vers des zones moins denses s’avère bien moins oppressante.
On peut penser que l’usage de moyens de transports en commun serait une solution idéale, mais dans les régions rurales moins bien desservies, ou en cas de dysfonctionnement, cela s’avère tout aussi pénible.
Pour les cyclistes et autres deux roues, ainsi que pour les marcheurs, l’effet positif se fait surtout sentir dans les grands centres urbains plus que dans les petites régions urbaines.
Les déplacements professionnels provoquent un stress supplémentaire à celui des trajets entre le domicile et le travail. Ils sont pris en charge financièrement par l’employeur, font partie des conditions de travail des conseillers en prévention comme de beaucoup d’autres catégories de travailleurs, mais ne sont malheureusement pas souvent considérés comme un risque psychosocial, à tort. D’où l’importance d’analyser leur impact et de proposer des pistes pour y faire face.
La majorité de ces déplacements se font en voiture, et la congestion du trafic automobile est un des facteurs de stress les plus importants. Cela ne risque pas de s’améliorer dans les prochaines années selon le SPF Mobilité. Bruxelles, Anvers et Liège sont les villes les plus embouteillées de Belgique, et le temps perdu dans les files augmente chaque année. A Bruxelles, pendant les heures de pointe, on peut perdre quasi le double du temps normal de trajet. Notre capitale est à la 32ème place mondiale des villes embouteillées sur 146. A cela s’ajoute également la difficulté de se parquer près du rendez-vous.
Ce qui module l’effet positif ou négatif des déplacements professionnels est le sentiment de contrôle que les individus ressentent face à la situation. Le fait qu’ils soient répétés et constituent parfois plus de 20% du temps de travail, peut rendre le stress généré chronique sans même que la personne en soit vraiment consciente.
En plus des embouteillages, parmi les autres situations stressantes, on trouve bien entendu les accidents , même s’ils ont été évités, la conduite dans des conditions météo difficiles (visibilité réduite, verglas,…), et le sentiment que l’on n’arrivera pas à l’heure du rendez-vous.
Au vu de ce qui précède, il est évident qu’il n’y a pas de recette miracle pour diminuer le stress provoqué par des déplacements professionnels répétés en voiture. Mais considérant que plus une personne ressent du contrôle sur son trajet, moins celui-ci génère du stress, on peut évoquer plusieurs pistes selon les 5 types de facteurs de risques psychosociaux au travail.
Pour certaines fonctions, l’autonomie dans la gestion des rendez-vous permet non seulement au travailleur amené à se déplacer régulièrement de s’organiser au mieux selon les différents lieux de rendez-vous, en dehors des heures de pointe, mais aussi d’augmenter son sentiment de contrôle.
La reconnaissance de la pénibilité des déplacements professionnels par le management et les collègues est également importante, ainsi que le temps conséquent qui y est consacré. Trop souvent, ce temps est considéré comme perdu. Or, cela fait partie intégrante du travail de certains travailleurs amenés à se déplacer régulièrement.
Pour valoriser au mieux ce temps, il est possible de s’organiser pour passer un maximum d’appels téléphoniques professionnels durant les trajets (avec le matériel adéquat bien entendu). Ce conseil est controversé vu que cela peut générer une perte d’attention dans la conduite du véhicule. En psychologie cognitive, des études sur les situations de double tâches ont été menées. Il a été constaté que pour pouvoir, sans perte d’attention, mener 2 tâches différentes à bien (comme c’est le cas pour la conduite d’un véhicule tout en téléphonant), il faut que l’une des tâches soit routinière sans présenter de difficulté majeure (conduite dans les embouteillages ou sur autoroute par exemple par un conducteur chevronné). Il faut également que l’autre tâche fasse appel à un canal sensoriel différent. Il ne s’agit pas en effet de conduire en faisant une autre activité visuelle comme la rédaction de messages ou de mails, ou de devoir manipuler son smartphone. Mais conduire un véhicule, s’agit-il vraiment d’une activité routinière ? A tout moment, il peut survenir un imprévu et notre attention devra pouvoir être mobilisée entièrement.
Pour alléger et diversifier les trajets entre les différentes visites à effectuer, il est possible également (selon la localisation du rendez-vous) de tester un déplacement multimodal, c’est- à-dire faisant appel à différents types de transport (train, voiture, vélo, métro, taxi …). Certains employeurs mettent ainsi à disposition du travailleur une carte de paiement multi-transports qui permet de payer ces différents modes de transport.
Pour limiter le stress, la charge de travail des travailleurs qui sont amenés à se déplacer régulièrement doit être évaluée en tenant compte de la durée réelle des déplacements, et pas seulement la durée théorique. Cela doit également être pris en compte dans les éventuels indicateurs mis en place pour évaluer la performance, et dans la politique RH globale.
Le télétravail, s’il permet de limiter les trajets domicile-lieu de travail, ne permet pas de diminuer la fréquence des déplacements professionnels obligatoires. Néanmoins, il peut permettre d’apporter une souplesse supplémentaire au niveau des heures de rendez-vous, et de raccourcir certains trajets en ne devant pas passer via le lieu de travail. Pour ce faire, il s’agira d’un télétravail pour une heure ou 2, le temps d’éviter les heures de pointe. Une journée de télétravail complète permet également de consacrer son temps à du travail administratif sans oublier les possibilités de contacts par mail, téléphone et autres messageries vidéo ou non .
C’est là que s’arrête une analyse de risque mais que commence la possibilité pour chacun de nous d’agir par nous-mêmes sur le stress vécu. Car quand on ne peut pas changer une situation, on peut délibérément choisir de l’aborder différemment. Il s’agit alors d’accepter le non contrôle que nous avons sur la situation (par exemple un embouteillage imprévu) et de prendre le contrôle sur nous-mêmes. Comment ?
En ne considérant plus ce temps comme perdu mais bien comme du temps gagné pour soi. Cela permet en effet de penser (par exemple organiser sa journée, réfléchir à des pistes de solution pour un problème) ? Cela permet également d’écouter de la musique, un livre audio, une conférence sur le web, des humoristes qui nous font rire. Peu importe le contenu, vous choisissez vous-mêmes ce qui vous plaît le plus. Vous redevenez maîtres de ce temps. Que cela soit dans sa voiture ou ailleurs, sourire, rire ou chanter, tout comme le fait de respirer profondément, permettent de se relaxer. Et beaucoup de personnes amenées à se déplacer régulièrement dans le cadre de leur travail ont très certainement déjà mis cela en pratique de manière empirique.
C’est notre sentiment d’impuissance qui nous stresse le plus. Nous ne pouvons pas faire disparaître les files de voitures, mais bien changer nos réactions sur la route. La solution réside dès lors dans le sentiment de contrôle et le plaisir que l’on peut retirer de ces moments de la journée. Accepter ce que l’on ne peut pas changer, et changer ce que l’on peut : notre comportement.
[1] Annie BARRECK, Navettage et épuisement professionnel selon la région et le moyen de transport : les résultats de l’étude SALVEO, Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures en vue de l’obtention du grade de maîtrise en relations industrielles, Université de Montréal, 2015, p177