30 octobre 2019
Comme on peut s’en douter, l’intérêt majeur de l’utilisation d’un exosquelette est la réduction de l’effort musculaire que le travailleur doit fournir dans certaines activités fort contraignantes.
Lors des activités de manutention manuelle avec un exosquelette de type dos, l’effort des muscles lombaires est réduit de 10 à 40% en moyenne pour les exosquelettes passifs et de 30 à 60% (jusque 80%) pour les exosquelettes actifs (robotisés). Cette réduction de l’effort musculaire va de pair avec une réduction de la compression entre les disques lombaires L4/L5 de 23 à 29%.
Lors de l’utilisation d’un exosquelette de type membre supérieur, la réduction de l’activité des muscles de l’épaule atteint 30 à 40% lors d’activités d’assemblage en hauteur (vissage en industrie automobile par exemple) (Sylla et al., 2014, Rashedi et al., 2014) et 50% lors d’activités de manutention.
Si l’objectif de soulagement de l’effort des muscles par l’exosquelette semble atteint à des degrés divers, il convient malgré tout de relativiser cet effet positif dans la lutte contre les TMS (troubles musculosquelettiques).
Les facteurs de risque de TMS sont multifactoriels (figure 1). Sans que la liste soit exhaustive, on cite fréquemment les contraintes biomécaniques, psychosociales et environnementales (froid, courant d’air…) complétées par les facteurs personnels (âge, expérience, genre…).
Parmi les facteurs biomécaniques, on mentionne la force, la répétition, la durée et la posture du geste. Dans le cas des exosquelettes, la contrainte de type « force » est soulagée mais la répétition des gestes, la position articulaire et la durée ne sont pas nécessairement réduits. Même si le fait de diminuer la force utilisée soulage l’impact de la répétition et de la posture adoptée, il ne les annule pas du tout. Maintenir le bras levé à la verticale ou garder une position du tronc inclinée vers l’avant sont deux attitudes dont la contrainte est certes réduite par l’exosquelette mais n’est pas effacée si l’activité reste exécutée des centaines de fois sur la journée de travail. Une tendinite au poignet ou au coude peut naître chez des personnes exécutant par exemple l’actionnement des touches d’un clavier. Pourtant, la force utilisée est négligeable.
Figure 1 – Facteurs de risques de TMS |
Lors de l’utilisation d’exosquelette passif pour le dos, si celui-ci soulage effectivement les muscles dorsaux, il sollicite pour fonctionner un effort des abdominaux pour débuter l’inclinaison du tronc vers l’avant. Cet effort peut parfois être important si le réglage du mécanisme de soutien dorsal est inadapté ou mal réglé par rapport à la capacité de l’opérateur (Frost et al., 2009). Le couple synergique harmonieux entre les muscles dorsaux et abdominaux est primordial et un déséquilibre des forces pourrait perturber la stabilité de la colonne vertébrale.
L’usage d’un exosquelette pour le membre supérieur réduit le travail du muscle deltoïde (muscle de l’épaule) nécessaire pour soulever ou maintenir le bras élevé. De façon paradoxale, certaines études montrent que d’autres muscles sont plus sollicités qu’en absence d’exosquelette (le triceps par exemple, muscle du bras). Il convient de s’assurer que la réduction des efforts ne perturbe pas la synchronisation et la coordination de l’ensemble fonctionnel de l’épaule. La biomécanique de l’épaule est très complexe et la modification d’un paramètre pourrait perturber le fonctionnement harmonieux de l’articulation. De même, les muscles liés à la posture du tronc et des membres inférieurs sont sollicités de façon différente et un déséquilibre pourrait s’installer au sein de ces muscles responsables de la posture du tronc et du corps. Lors de l’utilisation d’exosquelettes passifs pour l’épaule, une augmentation de l’activité des muscles lombaires de 30% a été mentionnée ainsi qu’une sollicitation plus importante des muscles de la cheville (Rashedi et al., 2014).
Le poids de l’exosquelette pour soulager les membres supérieurs est un facteur à prendre en considération car si l’effort pour les membres supérieurs est réduit, la charge pour le système locomoteur et la colonne vertébrale est augmentée. Cela équivaut à porter un sac à dos pendant de nombreuses heures de travail.
Dans le cadre du gain de productivité de l’entreprise rendu possible par l’usage d’un exosquelette, une réaction logique consisterait à augmenter la cadence ou réduire les périodes de repos. Dans ce cas, les facteurs biomécaniques de TMS comme la répétition plus fréquente des gestes, la durée augmentée de l’effort et la diminution des temps de repos risquent d’anéantir l’effet positif de l’exosquelette sur la diminution de la force utilisée.
Une crainte à ne pas négliger concerne une panne temporaire possible de l’exosquelette. Le niveau de productivité sera difficile à atteindre en l’absence de cet artifice. Comment l’entreprise pourra-t-elle gérer ce problème ? On peut espérer que les opérateurs ne devront pas atteindre les mêmes quotas de production sans le recours à cette aide.
Les essais réalisés lors des tâches codifiées peuvent montrer une grande satisfaction à l’utilisation d’exosquelettes mais qu’en est-il lors d’autres situations moins fréquentes mais qui peuvent apparaître dans les multiples activités d’un opérateur ?
Quelques études ont signalé un inconfort des opérateurs à l’utilisation des exosquelettes. Le poids du dispositif, les lanières et supports d’appui du dispositif sont parfois mal perçus par les utilisateurs et peuvent provoquer frottements, irritations cutanées ou compressions sur des nerfs et muscles. Les critères anthropométriques sont parfois difficiles à respecter et l’alignement des axes articulaires de l’exosquelette avec les axes anatomiques correspondant à l’anatomie des grands et petits utilisateurs est quelque fois sommaire. Les caractéristiques morphologiques féminines rendent parfois inconfortables voire douloureux pour les utilisatrices les contre-appuis de l’exosquelette de type passif sur le thorax et la poitrine.
Une autre inquiétude concerne l’adoption de gestes protecteurs du dos lors d’activités de manutention. On connait les difficultés d’apprentissage des techniques d’économie du dos : encadrement de la charge, flexion contrôlée des genoux, maintien des courbures naturelles de la colonne vertébrale. Ces solutions gestuelles nécessitent un entrainement régulier pour maintenir les capacités de souplesse, de coordination et de force de la musculature. Ces qualités deviennent moins nécessaires avec l’utilisation d’un exosquelette. Qu’adviendra-t-il de ces aptitudes lorsque le travailleur se trouve en situation de manutention sans l’effet protecteur de l’exosquelette, notamment dans la vie de loisirs ? Une fonte musculaire est peut-être possible en cas d’utilisation prolongée. L’équilibre entre la réduction de la charge physique (pour améliorer le confort) et le maintien des capacités d’effort est toujours délicat à trouver.
Un aspect à prendre en considération concerne le risque de choc ou de collision avec l’entourage matériel ou humain. L’exosquelette correspond à une enveloppe extérieure qui prend plus de place que la morphologie de l’utilisateur. Celui-ci n’en est pas toujours conscient ou l’oublie momentanément, concentré sur sa tâche. Des heurts sont toujours possibles. De plus, la place disponible dans certains locaux est réduite et les déplacements avec le harnachement d’un exosquelette deviennent plus complexes. Le risque de déséquilibre et de chute de l’opérateur n’est pas négligeable non plus.
Figure 2 – Exosquelette Power Assist Suit de Kawazaki | Figure 3 – Exosquelette aide au ponçage de Lockheed Martin |
Figure 4 – Exosquelette Noonee Chairless | Figure 5 – Queue robotisée Dubbed-arque facilitant l’équilibre et contrebalançant la charge antérieure |
Si la performance de l’opérateur est améliorée et qu’il peut développer plus de force, il convient de s’assurer que les outils utilisés seront en rapport avec la puissance accrue. C’est le cas de meuleuses et ponceuses par exemple qui devront subir une pression accrue. Un renforcement des outils est parfois à prévoir.
Parallèlement à ces contraintes physiques, certains auteurs mentionnent des problèmes d’ordre psychosociaux et cognitifs. Ainsi l’utilisation d’un dispositif technologique, aussi performant soit-il, sollicite une attention accrue. Le risque d’erreur est possible et les conséquences négatives plus importantes. Le choc d’un exosquelette contre le mobilier ou une machine endommage l’exosquelette et le matériel entré en collision, sans parler des risques de blessure aux collègues. L’attention permanente peut être perturbante émotionnellement pour certains.
D’autre part, l’acquis professionnel lié à l’expertise obtenue par le travailleur au fil des années pour économiser son effort, ajuster la qualité du produit ou organiser son travail sont relégués au second plan voire deviennent inutiles avec l’usage d’un exosquelette. Le regard des collègues peut parfois être perçu comme désapprobateur pour l’opérateur qui semble « paresseux » à utiliser une aide extérieure.
Ces réflexions qui peuvent sembler fort négatives ne doivent pas pour autant jeter les exosquelettes aux oubliettes, que du contraire. Les dispositifs d’assistance physique ont un bel avenir devant eux. Il convient cependant d’être conscient des risques potentiels liés à une utilisation sans réflexions préalables. Celles-ci concernent d’abord la mesure préventive la plus adéquate en se référant à la hiérarchie de prévention et ensuite, dans le cas du choix d’un exosquelette, à sélectionner le modèle le plus pertinent.
Jean-Philippe Demaret
Conseiller en prévention ergonome
Licencié en kinésithérapie et en éducation physique