25 juin 2024
En Belgique, on compte quasi un demi-million de personnes en incapacité de travail depuis plus d’un an, ce qui représente un réel problème de santé publique et un sérieux défi pour les entreprises. Et ce chiffre continue de croître. Cohezio vous propose une série de 5 articles pour comprendre ce phénomène de société et proposer des pistes pour lutter contre celui-ci. Notre premier article est consacré aux facteurs permettant de favoriser une réintégration réussie, ou au contraire de la freiner.
Les personnes en incapacité de travail de longue durée éprouvent souvent des difficultés à différents niveaux – au niveau de l’individu, de l’employeur ou de l’organisation, du secteur et de la société, et du système de sécurité sociale – ce qui a pour conséquence d’élargir le fossé qui existe entre le fait d’être ‘en maladie’ et le fait de ‘travailler’, et d’entraver ainsi la réintégration. Il existe toutefois, à tous ces niveaux, des facteurs positifs qui sont déterminants pour une réintégration réussie et durable. On ne peut pas influer sur l’ensemble des facteurs, tels que le sexe et l’âge, mais il faut investir dans les facteurs que l’on peut influencer, comme la durée de l’incapacité de travail. Ces facteurs dits de risque doivent constituer le point de départ de différentes actions.
Un premier groupe de facteurs déterminants est composé des caractéristiques sociodémographiques : on constate des absences de longue durée plus fréquentes chez les personnes plus âgées (plus de 55 ans) et les travailleurs de sexe féminin ayant un faible niveau d’éducation. Par ailleurs, ce sont également ces personnes qui éprouvent le plus de difficultés à entreprendre des démarches pour réintégrer le marché du travail.
En outre, des traits de personnalité tels que le perfectionnisme et l’assiduité, mais aussi l’évitement, le manque de confiance en soi et la peur sont souvent des obstacles majeurs à la reprise du travail.
Un troisième facteur important est la durée de l’incapacité de travail : plus la personne est absente longtemps, plus les chances de reprise du travail auprès du même employeur s’amenuisent, et plus la distance par rapport au marché du travail augmente. Si aucune intervention n’a été prévue sous forme d’accompagnement professionnel axé sur la réintégration, les chances de réintégration chutent à 66 % au bout de six mois d’incapacité de travail. Les chances de reprise du travail continuent ensuite à diminuer à vue d’œil. Les six premiers mois sont donc d’une importance capitale. Tous les travailleurs belges ont pourtant le droit de demander une consultation auprès du médecin du travail à tout moment, y compris durant la maladie. Les travailleurs devraient demander cette consultation bien plus rapidement, surtout pendant les premiers mois de maladie.
Un quatrième facteur impactant concerne (l’évaluation de) la santé générale, notamment la prise en compte d’une douleur (chronique). Lorsque le traitement n’est pas encore au point ou en cas d’affection chronique s’accompagnant de hauts et de bas, on souhaite souvent attendre que l’état de santé se stabilise, vu la crainte d’une aggravation des douleurs qui serait engendrée par une reprise du travail.
Un dernier groupe de facteurs déterminants comprend la motivation, la volonté à travailler et l’engagement au travail dont la personne a fait preuve auparavant. La conviction de l’individu quant à ses propres possibilités, ainsi que ses propres perspectives d’avenir, autrement dit, la façon dont la personne en incapacité de travail considère l’avenir, et plus spécifiquement ses attentes concernant la réintégration, entrent également en jeu et constituent aussi des facteurs prédéterminants essentiels.
Un premier facteur déterminant de reprise du travail au niveau de l’employeur ou de l’organisation est le climat qui règne au sein de l’entreprise et l’ouverture dont fait preuve la société. Il s’agit du contact et de la relation avec les collègues, la ligne hiérarchique et l’employeur pendant la période d’incapacité de travail. Plus le silence radio entre l’employeur et les collègues d’une part et le travailleur en incapacité de travail d’autre part se fait long, plus la réintégration est difficile.
Lorsque la cause de l’incapacité de travail (le diagnostic et les restrictions médicales) est à trouver dans le travail à proprement parler, la charge de travail physique, mentale et émotionnelle, ainsi que la compensation nécessaire lors de la reprise du travail pour rattraper le retard dans le travail, de même que l’éventuelle absence de changements favorables opérés sur le lieu travail pendant la période d’absence, sont perçues comme autant de freins à la reprise du travail.
Un troisième groupe de facteurs déterminants défavorables comprend les caractéristiques de la situation de travail, telles que le peu de possibilités de s’organiser pour compenser les exigences liées au travail, les faibles facultés de travail et l’insatisfaction.
Un dernier facteur restrictif concerne le déclin des aptitudes professionnelles pendant l’incapacité de travail, compliquant davantage encore la reprise du travail (ou étant perçu en tant que tel), dans un contexte professionnel déjà en proie aux changements rapides, en raison notamment de l’évolution des équipes, des procédures de travail et du marché du travail.
Au niveau des prestataires de soins de santé, le travail n’est que trop peu abordé en consultation, ce qui n’offre aucune perspective au patient. En résumé, les médecins traitants discutent en général (bien) trop peu du travail avec leurs patients et ne parviennent généralement pas à contacter les médecins du travail. D’après une étude de Cohezio, plus de 70 % des médecins traitants ne savent pas comment trouver les coordonnées du médecin du travail de leur patient. Ces infos sont toutefois facilement accessibles sur le site www.masante.belgique.be. Par ailleurs, le secteur curatif ne renvoie pas (encore) assez souvent vers le médecin-conseil et le coordinateur de retour au travail (CRAT) de la mutualité, et la prise de contact avec ces derniers n’est pas non plus aisée.
Comme troisième facteur de risque, citons le fait qu’actuellement, l’accent n’est pas encore mis suffisamment sur les capacités résiduelles – ce que la personne est encore capable de faire. L’accent est en effet davantage mis sur l’incapacité – ce que la personne n’est plus capable de faire. Passer d’une attestation d’inaptitude au travail à une attestation d’aptitude permet d’ouvrir les portes d’une réintégration plus rapide.
La politique actuelle de réintégration prévoit de nombreux instruments d’aide à la réintégration, mais la méconnaissance de ces possibilités, y compris la reprise progressive du travail à temps partiel, la crainte de perdre son statut de malade et ses allocations, l’inaccessibilité de ces instruments – le travailleur en incapacité ne s’y retrouve pas dans cet enchevêtrement d’acteurs et de procédures – et la lenteur de l’approche constituent autant d’obstacles à la reprise du travail. Une information rapide et proactive, et la sensibilisation de la personne en incapacité quant aux possibilités de réintégration sont les pierres angulaires d’une politique de réintégration réussie : plus tôt la personne en incapacité est informée et sensibilisée, plus vite un retour sur le marché du travail pourra être mis en place. L’employeur est tenu d’avertir le médecin du travail de toute incapacité de travail de plus de 4 semaines afin de permettre au médecin du travail d’informer le travailleur. Cette démarche n’est toutefois que trop peu appliquée, alors qu’il s’agit d’un devoir essentiel de l’employeur. Si ce devoir n’a pas été respecté, le Contrôle du bien-être au travail (l’Inspection du travail) peut émettre un avis négatif, par exemple suite à une procédure en appel lors d’un examen de réintégration ou lors d’un examen de constatation d’inaptitude définitive. La reprise progressive du travail est en outre une façon de reprendre le travail qui est très accessible et qui porte généralement ses fruits – tant pour le travailleur que pour l’employeur. Aux Pays-Bas, l’intervention a lieu dès le premier jour d’incapacité de travail, un accompagnement actif du travailleur est donc immédiatement mis en place. Il est non négligeable de spécifier qu’en cas de maladie, l’employeur a l’obligation de payer le travailleur pendant deux années à hauteur d’au moins 70 % de son salaire. L’employeur a dès lors tout intérêt à lancer un processus de réintégration le plus tôt possible. Ce système a conduit à une forte diminution du nombre de travailleurs en incapacité de longue durée. Avec l’avènement en Belgique des trajets de retour au travail de la mutualité, les coordinateurs de retour au travail peuvent jouer un rôle actif en la matière, alors que le médecin du travail, le médecin traitant, le Forem, etc. sont également des acteurs importants qui doivent se voir attribuer un rôle d’appui dès le début de l’incapacité.
La longue durée (parfois jusqu’à deux ans) des trajets d’accompagnement initiés via le Forem et autres entraîne une baisse de la motivation du participant, et met ainsi en péril sa réintégration. Les débouchés limités constituent également un important facteur prédéterminant négatif. Le retour sur le marché du travail n’est en effet pas envisagé au sens large, on ne vise par exemple que le retour chez l’employeur actuel. Au bout de deux ans, le taux de retour au travail est d’environ 30 %. Dans de nombreux cas, ces trajets d’accompagnement devraient pouvoir être entamés plus tôt que ce n’est le cas actuellement (ce n’est souvent le cas qu’au bout de plus d’un an d’incapacité de travail).
Un dernier facteur déterminant défavorable est l’attention encore limitée portée à l’ensemble des aspects relatifs à l’individu : la problématique médicale, le bien-être mental et le contexte socio-professionnel. La dimension familiale et la dimension du soin à l’autre peuvent donc également avoir un impact sur l’incapacité de travail et le retour au travail, et constituent l’une des raisons primaires de non-participation au marché du travail : une situation familiale accaparante, comme l’absence de milieu d’accueil pour la petite enfance ou le fait d’avoir des enfants nécessitant des soins particuliers, peut constituer un frein à la reprise du travail. En outre, les travailleurs en incapacité peuvent parfois économiser sur les frais de garde d’enfants lorsqu’ils restent chez eux pour cause de maladie. Une approche multidisciplinaire et adaptée à chacun est donc primordiale.
Concentrez-vous sur les facteurs que vous pouvez influencer en tant que ligne hiérarchique, employeur ou organisation, afin de réduire l’absentéisme chronique et d’augmenter les chances de réintégration réussie et durable. Voici quelques mesures à prendre :
De telles actions curatives peuvent être définies et intégrées au sein d’une politique collective ; ce qui permet de créer une culture d’entreprise où l’absentéisme pour maladie et la réintégration accompagnée d’éventuels ajustements du travail deviennent des sujets dont on peut discuter.
En conclusion, l’incapacité de travail de longue durée et la réintégration au travail qui s’ensuit représentent davantage qu’une situation purement liée à un diagnostic : il s’agit de la conjonction complexe de facteurs multiples. Vous trouverez également de plus amples informations à ce sujet auprès de notre partenaire Băo academy : Formation : Accompagner le retour au travail après une absence (baoacademy.be). Băo academy propose des formations à destination de la ligne hiérarchique pour l’aider à comprendre la complexité et les défis qui se présentent en la matière, et pour découvrir des façons concrètes de soutenir au mieux le travailleur dans la reprise de son activité professionnelle.
L’article publié dans la prochaine édition d’Actuascan se penchera sur les examens qui peuvent être demandés auprès du médecin du travail afin d’initier rapidement une réintégration.
Dr Stéphanie Hollebosch, conseiller en prévention-médecin de travail
Dr Mathieu Versée, directeur scientifique
Johan Van Middel, Corporate legal expert Cohezio